« Maigret ignorait encore que, ce qui s’amorçait ce matin-là dans son bureau, c’était le commencement de la fin d’une affaire qu’on appellerait désormais, au quai des Orfèvres, la plus longue enquête de Maigret » in « La Patience de Maigret » – 1965
Avez-vous déjà essayé de raconter une histoire pleine de péripéties en n’utilisant que l’imparfait ? Exclusivement. Sans la moindre goutte de passé simple, ni larme de passé composé ou pire encore quelque buée de plus que parfait ?
Voulez-vous vous y essayer avec ce texte court?
« C’était le début de la fin des ennuis. Alfredo Spaghetti en aurait juré ou aurait pu tout aussi bien dire qu’il n’y avait jamais eu d’ennuis. Quelque chose avait changé. Dans le bon sens. D’un geste machinal, il repoussa en arrière la mèche de cheveux rebelle qui s’obstinait à barrer son front qui finirait bientôt dégarni, mit une pièce d’un euro dans le distributeur automatique et attendit le bip qui lui indiquerait que sa boisson chocolatée était fin prête. Il attrapa le gobelet, lequel lui glissa des doigts. Le liquide vint mourir sur le cuir verni couleur sable en une auréole qui aurait pu en termes graphique le disputer à Jackson Pollock. Alfredo Spaghetti pensa en lui-même : la fin des ennuis, vous vous moquez ?»
Tout à l’imparfait : « C’était le début de la fin des ennuis. Alfredo Spaghetti en jurait ou pouvait tout aussi bien dire qu’il n’y avait jamais d’ennuis. Quelque chose changeait. Dans le bon sens. D’un geste machinal, il repoussait en arrière la mèche de cheveux rebelle qui s’obstinait à barrer son front qui finissait bientôt dégarni, mettait une pièce d’un euro dans le distributeur automatique et attendait le bip qui lui indiquait que sa boisson chocolatée était fin prête. Il attrapait le gobelet, lequel lui glissait des doigts. Le liquide venait mourir sur le cuir verni couleur sable en une auréole qui pouvait en termes graphiques le disputer à Jackson Pollock. Alfredo Spaghetti pensait en lui-même : la fin des ennuis, vous vous moquiez ?»
Est-ce que ça fonctionne ? Non, pas vraiment… Pourquoi ?
Réfléchissez… Le « tout à l’imparfait » ne trahit-il pas l’esprit de l’histoire ? Est-ce que ça ne change pas la donne en brimant l’action, la ralentissant ? Selon ce qu’on veut dire et faire passer au lecteur, on utilisera ou pas l’imparfait.
Mais alors, quand utiliser l’imparfait ?
1/ pour exprimer une action non achevée (imparfaite) : « alors que le soir tombait, une voiture s’arrêta devant la masure »
2/ dans une description au passé : « après Vermeilles, le paysage changeait, les collines succédaient à la plaine fade et monotone »
3/ pour exprimer le temps long : « cela faisait maintenant trois jours qu’on était sans nouvelles du Karamak »
4/ pour exprimer une répétition : « il s’esclaffait à chaque commentaire dédaigneux », une habitude :« chaque soir, il retirait soigneusement ses chaussures qu’il posait ensuite sur la première marche de l’escalier pour que la bonne pense bien à les cirer »
5/ pour atténuer une requête : « j’allais vous demander un service »
6/ pour exprimer une condition : « s’il avait parlé anglais, il aurait pu traduire les propos de la jeune femme »
L’imparfait, c’est le temps long, c’est ce qui est inachevé, incomplet
( du latin imperfectus, inachevé). Chez Simenon, l’usage de l’imparfait quand un autre temps serait requis est un acte volontaire et maîtrisé. L’imparfait est un générateur d’atmosphère : il suspend l’action ou l’étire. Il véhicule parfois simplement une information. L’imparfait sert la nonchalance apparente de Maigret, ses enquêtes qu’il mène l’air de rien, pipe au bec. La prochaine fois que vous lirez une enquête du commissaire Maigret, attardez-vous, comme ça, l’air de rien, sur l’usage que Simenon fait de ce temps imparfait. Vous verrez, c’est très instructif. Et maintenant, amusez-vous avec l’imparfait dans vos textes et regardez ce qui se passe…